« L’agroécologie peut nourrir le monde »
Blé, maïs, huile, viande… Les prix des denrées alimentaires ont explosé depuis le début de la guerre d’Ukraine. Ils ont augmenté de près de 17 %, avec des conséquences énormes : selon la Banque mondiale, « Chaque augmentation d’un point de pourcentage des prix alimentaires plonge 10 millions de personnes dans l’extrême pauvreté dans le monde »Face à cette crise historique, la France n’a qu’une obsession : « Produire plus »Une semaine après le début du conflit, la FNSEA, la coalition agricole majoritaire, concluait : « Il faut produire plus sur notre territoire, durablement, mais produire. » Le gouvernement n’a pas tardé à chanter un refrain, le ministre de l’agriculture – parlant de « La mission nourricière de l’Europe » —Pour réélire le président Emmanuel Macron. Nos voisins européens ont également adopté ce thème.
Cette fois, le passage des paroles aux actes a été très rapide. Fin mars, la Commission européenne a proposé un certain nombre de mesures « Soutenir la production agricole » : Cultiver des terres en jachère – éventuellement aspergées de pesticides – aide les agriculteurs à accéder aux engrais et retarde les objectifs européens de réduction des pesticides et d’augmentation de la superficie biologique.
autant que possible « La solution à court terme sera finalement mettant en danger la sécurité alimentaire mondiale tout en accélérant l’effondrement de la biodiversité et le changement climatique »le 31 mai, a condamné six ONG internationales, dont le CCFD-Terre solidaire, Greenpeace ou encore Action contre la faim.
Spéculation et mesures « contre-productives »
« Les prix alimentaires n’augmentent pas à cause des problèmes de productionsouligne Valentin Brochard du CCFD. Ceci est en grande partie le résultat de la spéculation et des réponses contre-productives des pays. » Bien sûr, l’Ukraine, « Le grenier de l’Europe », la récolte sera inférieure à celle des années précédentes : la production de maïs et de blé du pays chutera de 53 % et de plus d’un tiers, respectivement, en 2022, selon les autorités américaines. Certes, la récolte aux États-Unis ou au Brésil change de manière imminente en raison du climat.
« Les réductions de production sont bien réelles, mais elles n’ont rien à voir avec la hausse des prix car nous avons suffisamment de stocks mondiauxa insisté M. Brochard. La crise est principalement liée au marché alimentaire incontrôlable. » En d’autres termes, de nombreux agents de change s’attendent à ce que les prix augmentent, ils investissent donc massivement dans l’alimentation… ce qui fait grimper les prix. « 72 % des acheteurs de la place parisienne du blé sont des spéculateursa-t-il observé. Ils augmentent artificiellement les prix des denrées alimentaires. »
Pixabay/CC/Zonc_Photos
Autres raisons identifiées par les ONG : « De nombreux pays ont pris des mesures logiques d’un point de vue national, mais complètement contre-productives à l’échelle internationale », précise Valentin Brochard. La Chine stocke de grandes quantités de maïs et de blé, et l’Inde, deuxième producteur mondial de blé, a annoncé qu’elle arrêterait ses exportations de céréales. Au moins 18 pays ont imposé des restrictions ou des interdictions sur leurs exportations alimentaires d’ici mai 2022. « Depuis cinquante ans, nous construisons un système alimentaire mondialisé dont nous sommes tous très dépendantsa déclaré M. Brochard. Les réponses nationales unilatérales et non coordonnées sont l’un des principaux facteurs à l’origine de la flambée des prix. » Depuis treize ans, le monde a subi trois crises alimentaires majeures en 2008, 2011 et 2020, provoquant famines et insurrections dans les pays les plus vulnérables.
« 60 ans de politiques en faveur de l’agriculture industrielle n’ont pas réussi à prévenir une crise alimentaire mondiale ni à éradiquer la faimAmis de la Terre Elyne Étienne a ajouté. L’agro-industrie est un modèle inefficace : elle est très dépendante des produits chimiques, du pétrole, des investissements lourds, et produit de multiples dégâts environnementaux et sociaux. » Alors au lieu de brandir la vieille recette du productionnisme, les ONG veulent que l’agriculture bifurque.
« Ces mesures demandent un grand courage politique »
Certains pays européens semblent également réticents à se lancer dans tout ce qui est intensif. Outre-Rhin, le ministère allemand de l’Agriculture, dirigé par les Verts, s’est prononcé contre l’assouplissement des jachères, n’autorisant leur utilisation que pour l’alimentation du bétail, moins nocive pour la faune et la flore. Aucun engrais n’est nécessaire. En France, un programme conjoint de nouveaux écologistes populaires et de l’Union sociale (Nupes) espère amorcer une transition écologique loin des pesticides et de l’agriculture.
« L’agroécologie peut nourrir le monde »insiste Elyne Étienne, citant plusieurs études scientifiques, comme les scénarios Tyfa ou Afterres. « Au niveau européen, cela est tout à fait possible en réduisant les déchets, notamment la consommation de viande.ajoute Laure Ducos de Greenpeace. Un tiers des céréales produites pour nourrir les animaux suffit « Réaffecter » consommation humaine pour compenser la baisse des exportations ukrainiennes. »
À court terme, une vingtaine d’associations environnementales et paysannes ont émis une série de propositions alternatives en mars de l’année dernière « Faire face aux conséquences de la guerre » : Suspendre la dette des pays du Sud, suspendre la conversion des produits agricoles en biocarburants, et taxer toute spéculation. « Ces mesures demandent beaucoup de courage politique, mais elles sont nécessaires pour éviter le pire »Valentin Brochard a conclu.
précieuse jachère
la jachère est « Une pratique agricole consistant à maintenir des surfaces agricoles inutilisées pendant un certain temps afin qu’elles puissent reconstituer leurs réserves d’eau et leur capacité de production »Conserver la biodiversité, améliorer la qualité de l’eau, lutter contre l’érosion, restaurer les sols, séquestrer le carbone… « La jachère est un espace privilégié pour la nidification des oiseaux, notamment les alouettes, les perdrix grises ou encore les bécasseaux, toutes trois espèces dont l’état de conservation est médiocre », a rappelé l’Alliance pour la conservation des oiseaux (LPO) le 25 mai. Le lièvre, le bavardage ou la diphtérie aiment aussi ces milieux.
Pour promouvoir cette pratique écologique, la politique agricole commune (PAC) a jusqu’à présent exigé que 4 % des terres soient utilisées pour des zones non productives. Cette jachère obligatoire a donc été suspendue au niveau européen en mars dernier. Le gouvernement français a adopté la décision dans un décret publié le 23 mai.
« Don à l’agro-industrie », condamnant Caroline Faraldo de la Fondation Nature et Humain. En France, près de 300 000 hectares de jachères occupent un peu plus de 1 % de la surface agricole exploitée, et sont souvent bâtis sur des sols pauvres ou des parcelles inaccessibles. « La suspension de la jachère forcée n’augmentera pas de manière significative le potentiel de production agricole de l’UE »Mme Faraldo a souligné.
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Ukraine
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Remarques
31 mai 2022 à 16h59
Temps de lecture : 7 minutes
Monde Agroalimentaire