La culture locale sauve l’Afrique



Femmes sur une remorque pleine de chips de tapioca, Ilorin, Nigeria, 2017. STEFAN HEUNIS / AFP

Manioc, sorgho, mil, fonio… L’Afrique doit-elle miser davantage sur les cultures locales pour éviter le pire en temps de guerre en Ukraine et de flambée des prix alimentaires sur les marchés mondiaux ? Depuis le début du conflit, le 24 février, les craintes d’une crise alimentaire généralisée sur le continent africain se sont accrues.À la mi-mars, le secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres, avait averti « Ouragan de famine » De nombreux pays importent de grandes quantités de blé et d’engrais d’Ukraine et de Russie.

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Ces dernières années, le continent a acheté presque deux fois plus de blé à l’étranger qu’il n’en produit chez lui. Dix-huit pays africains sont des importateurs nets de blé de Russie ou d’Ukraine – l’Érythrée, la Somalie et l’Égypte complètent les trois premiers, selon l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture. Cependant, son importance dans l’alimentation d’une population doit être prise en compte. « La plupart des céréales consommées en Afrique sont produites localement »insiste Jean-René Couson, expert agronome à l’Agence française de développement.

En effet, hors Afrique du Nord, la consommation de blé dans la plupart des pays du continent reste négligeable et surtout liée aux nouvelles habitudes de consommation dans les villes. L’Afrique subsaharienne surveille de plus près le prix du riz, largement consommé, y compris en milieu rural. Depuis plus d’une décennie, l’Afrique envisage d’accroître sa sécurité alimentaire en investissant davantage dans l’agriculture.il faut se méfier « L’obsession du riz et du blé »prévient David Laborde, chercheur à l’Institut international de recherche sur les politiques alimentaires.

Encore un long chemin à parcourir

« La recherche publique doit se concentrer sur d’autres céréales locales, comme le mil et le sorgho, qui ont des rendements plus faibles car elles ont fait l’objet de moins d’investissements »a-t-il poursuivi, tout en avertissant « Les imposer alors qu’ils ne sont pas encore assez productifs conduira à un désastre ». Cependant, leurs avantages sont bien connus, tels que leur potentiel nutritionnel et leur résistance à la sécheresse. Le sorgho et le millet comptent déjà parmi les céréales les plus cultivées en Afrique subsaharienne – après le riz et le maïs – et constituent la principale source de nourriture pour plus de 50 % de la population du Sahel.

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Leur culture fait également partie des huit cultures prioritaires identifiées par la Banque africaine de développement dans sa stratégie de transformation de l’agriculture du continent d’ici 2025, avec le blé, le riz et le maïs, le haricot, l’igname et le manioc. Ce dernier tubercule est déjà cultivé en grande quantité sur le continent africain, et la commercialisation de la farine de manioc se développe progressivement. Au Nigeria, son inclusion dans le pain est encouragée depuis 2012. Millet, patate douce, niébé : il existe partout d’autres farines pour compléter la farine de blé, mais elles sont encore loin d’être largement disponibles.

« Nous devons investir massivement dans les semences certifiées et les systèmes d’irrigation pour les rendre plus productifs, mais aussi les développer à grande échelle pour stabiliser leurs prix et les rendre abordables », insiste Moses Abukari, chef de projet au Fonds international de développement agricole (FIDA) au Kenya. Dans ce pays, le FIDA a encouragé le gouvernement à adopter une politique de mélange des farines et a élaboré un plan d’intensification de la production de céréales, dont le sorgho et le mil.

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De nombreux défis demeurent dans la promotion de ces cultures locales. De nombreuses céréales et plantes cultivées dans les zones rurales ne peuvent pas atteindre les villes en raison d’un manque d’installations de stockage et de canaux de distribution adéquats. Elle doit aussi convaincre les consommateurs de mettre ces produits au cœur de la cuisine. Le FIDA a formé 100 000 ménages au Kenya à la fabrication de gâteaux, de pâtes ou de pain. Selon les experts, un appui au secteur agroalimentaire privé est également nécessaire pour qu’il puisse maîtriser ces produits traditionnels et favoriser leur développement.

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