Origine de la viande : la fin très prudente de l’étiquetage obligatoire
Existe-t-il un voile opaque sur les rayons de nos supermarchés ? Cordons-bleus, jambons crus, ragoûts en conserve, pizzas, sandwichs au jambon préemballés… Bref, tous les produits transformés s’affranchissent depuis le début de l’année d’une contrainte : indiquer l’origine de la viande qu’ils contiennent.
Cette obligation de transparence dure cinq ans. Il a été lancé début 2017, peu de temps après le fameux incident des lasagnes à la viande de cheval. A l’époque, cette fraude massive a révélé une zone grise dans certaines boucles d’approvisionnement de l’industrie agro-alimentaire : les chevaux roumains étaient revendus comme du bœuf après être passés par des négociants hollandais… Des contrefaçons affectaient les lasagnes de la marque Findus, mais on s’en souvient moins, des dizaines d’autres références de produits (couscous, mussaka, hachis parmentier, ravioli, etc.) de grandes marques (comme celle du distributeur).
Consommateurs et éleveurs regrettent ce revers réglementaire
La mention d’origine fait désormais le prix d’une réglementation européenne défavorable. Il n’est entré en vigueur en France qu’à titre « expérimental ». Et c’était une expérience autorisée par Bruxelles qui s’est terminée tranquillement le 31 décembre. Cependant, il bénéficie du soutien d’associations de consommateurs et d’éleveurs. Olivier Andrault, responsable de la mission alimentaire à l’UFC-Que Choisir, assure : « Les consommateurs ont soif de transparence sur la façon dont les aliments transformés sont fabriqués, comment ils sont formulés et d’où proviennent les ingrédients. » Des représentants de diverses filières (bœuf, porc, volaille) contactés par L’Express regrette également ce revers réglementaire.
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Et pour cause… encore une fois, le masquage de l’origine risque d’encourager l’utilisation de viande importée dans les plats cuisinés. Mais si la viande française domine le rayon de la viande crue et que l’affichage de l’origine existe depuis longtemps (et cela ne changera pas), la situation est moins favorable pour les produits transformés. Et cette tendance est susceptible de s’accentuer.
Quant au porc, c’est ce qui inquiète Anne Richard, directrice de l’Inaporc, l’interprofession de la filière : « A partir du moment où ils n’auront plus à renseigner les consommateurs, les industriels seront tentés d’aller dans des endroits moins chers pour acheter de la viande, donc pas en France. »
Risque accru d’importation de viande
Avant la guerre d’Ukraine, les éleveurs français s’inquiétaient de la localisation des importations, qui provenaient souvent de pays aux normes de qualité ou de bien-être animal moins élevées. Le prix du porc a augmenté de 10% en 2021 – en particulier le porc espagnol plus compétitif, importé pour le jambon. Ces poulets sont à plus de 18 %. « Les filets de poulet brésiliens coûtent deux fois moins cher que les filets français standards », note Yann Nédélec, directeur de la filière viandes et volailles. Qui ne pense pas que l’industrie agro-alimentaire s’éloignera massivement de la volaille française. L’association de toutes les viandes, le choix d’ingrédients hexagonaux et la mise en valeur de signes reconnaissables (volaille française, porc français, bœuf français) restent des arguments valables pour séduire les consommateurs.
En fait, pour l’instant, vous ne trouverez pas de lasagnes (ou autres plats) d’origine inconnue en supermarché. Pas encore en tout cas… car il faut du temps pour changer d’étiquette (cacher le pays d’origine) ou de recette (substituer de la viande importée au français).
Base juridique faible
Une partie de l’annonce de la fin de la transparence de la viande concerne les actions des producteurs… de lait ! Au printemps 2021, le groupe Lactalis a obtenu une décision de justice pour supprimer un régime similaire qui s’applique aux produits laitiers. En vertu de la réglementation européenne, les tribunaux ont jugé illégale l’imposition d’une appellation d’origine à moins qu’un lien ne soit démontré entre les propriétés d’un ingrédient et son origine. Quel mal de tête. La décision n’a rien à voir avec la viande. Mais elle a persuadé le gouvernement français de ne pas demander une prolongation de l’expérience, ce qu’il a fait deux fois dans le passé. La base juridique est trop faible. « Nous avions dit au ministère de l’Agriculture avant l’élection présidentielle qu’il était risqué d’ouvrir ce front avec la commission. » En effet, à Bruxelles, le vent semble tourner. La mise en avant de l’origine d’un produit est souvent suspectée d’entraver la libre circulation des marchandises. En tout cas, le sujet est au menu du projet révisé de règlement sur l’information des consommateurs (règlement INCO), qui est actuellement en préparation.
L’association UFC-Que Choisir espère une opportunité de progrès dans la transparence et la cohérence : « Actuellement, la réglementation européenne impose d’indiquer l’origine d’un morceau de viande crue, mais dès qu’on ajoute un peu d’huile pour faire un carpaccio, l’obligation disparaît. Cela est tellement bizarre! , précise Olivier Andrault, chef de projet agroalimentaire.
Les gardiens souhaitent également que les présentoirs originaux du restaurant et de la cantine soient permanents en même temps. La viande bovine est valable 20 ans, et cette année (à partir du 1er mars) cette obligation a été étendue au porc, volaille, agneau, etc. Mais ici, le dispositif est aussi expérimental…
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Le comité doit publier ses propositions de réforme d’ici fin 2022. Mais cela pourrait prendre des années avant qu’il ne passe enfin et ne prenne effet. En attendant, au supermarché, si vous préférez la viande française, il va falloir ouvrir l’œil…
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