« Le Nutri-Score, un outil des années 80 » Jean-Michel Lecerf (entretien)


Jean-Michel Lecerf, l’un des nutritionnistes les plus renommés de France, a fait toute sa carrière au CHR de Lille mais aussi à l’Institut Pasteur de Lille, où il a fondé le service nutrition. Reconnu pour ses activités de recherche clinique et sa position inébranlable, cet expert est membre de nombreuses sociétés académiques, comités scientifiques publics (institutions étatiques) et privés (industrie agro-alimentaire). Ses principaux travaux portent sur l’étude clinique du métabolisme des lipides, pour laquelle il a publié de nombreux articles. A noter également qu’il est l’auteur de plus de 600 communications écrites, tous supports confondus, et a publié plus de 400 communications orales. En plus de cela, il a ajouté à son échange d’attention du public avec son dernier livre « La joie de manger », qui vient de paraître aux Éditions du Cerf. Les experts ont eu la gentillesse de répondre aux questions des scientifiques européens, allant du risque de pénurie alimentaire aux options stratégiques de l’UE, en passant par les questions soulevées par le lien entre le Covid et l’obésité. Nous vous invitons à lire l’interview exclusive.

Scientifiques européens : compte tenuHot news internationales, commençons par une question un peu difficile :En tant qu’expert des pathologies liées à la surconsommation alimentaire, y voyait-il un risque imminent de pénurie alimentaire ?Skyline ? Face au risque non nul que notre société soit affectée, avez-vous un conseil ? Comment les Français adaptent-ils leur alimentation quotidienne ?

Jean Michel Lecherf : Je viens de poster Le plaisir de manger et je ne ferai jamais partie du camp de ceux qui disent qu’il faut une bonne guerre pour s’instruire ! La surconsommation alimentaire est un terme galvaudé. Certes, nous avons une production et une disponibilité alimentaires sans précédent. Je ne pense pas qu’on puisse dire que notre population surconsomme de la nourriture ! Oui, il y a du gaspillage, mais il n’y a pas de surconsommation alimentaire généralisée. À l’exception des 10 à 15 % habituels qui en abusent, les gens mangent de moins en moins et sont de plus en plus attentifs. Nous sommes dans une situation où la nourriture est abondante. Il y a des déchets en amont et dans l’assiette. Le risque de pénurie affectera les plus pauvres car le coût des matières premières augmentera. Nous voulons en savoir plus sur les stocks. En termes de production, veillons cependant à ne pas réduire indûment la capacité agricole de notre nation (voir l’interview de Léon Gaiguen sur votre site). Pour diverses raisons, le grand potentiel de notre pays a été amoindri. Il faut y remédier dans le contexte de la crise actuelle.

On a la chance de manger pas cher (les Français consacrent 14% de leurs revenus à l’alimentation, contre plus de 50% au début du 20ème siècle) ; on se rendra peut-être compte que ça a un prix, que ça a de la valeur. Ces capacités sont loin d’être exploitées. Nous produisons plus de protéines dans le monde que nous n’en consommons. La souveraineté alimentaire doit nous inciter à produire davantage chez nous. Nous avons perdu de la compétitivité en raison des réglementations environnementales et des coûts de main-d’œuvre, nous devons donc importer. Il faut concilier une agriculture productive, moins polluante et l’exporter à nouveau. La biotechnologie végétale a déjà montré son efficacité. Nous devons continuer à les sensibiliser.

Ton. : pouvez-vous dire queDe nos joursAujourd’hui, nous avons une industrie agro-alimentaire qui produit suffisammentCombien d’efforts ferions-nous si nous examinions ces questions du point de vue de la santé publique?

JML : Absolument. 95% des fabricants s’efforcent d’avoir des produits de qualité. Nous pouvons toujours nous améliorer. Mais j’ai du mal à vendre des bonbons sans sucre ou des chips sans gras. La plupart des gens recherchent des produits sûrs et sains, bien que des accidents se produisent de temps en temps. La France a des obligations sanitaires et microbiologiques, mais elles ne sont pas forcément valables à l’étranger. La plupart ont des services et des ingénieurs qui cherchent à réduire le sel, les matières grasses, les additifs… mais tout n’est pas possible. Vous ne pouvez pas vendre de fromage écrémé, ils n’ont pas bon goût. Les produits doivent être à leur meilleur dans leur forme naturelle. Il est difficile d’imaginer un pain de viande ou une saucisse sans gras. Ce ne sont pas des produits toxiques et il ne faut pas les consommer en quantités astronomiques. Il y a des gens qui ne mangent pas bien, mais la nourriture n’est pas responsable de tous les maux. Cependant, malgré tous leurs efforts, les fabricants continuent d’être blâmés. Ils doivent encore améliorer leurs communications produit et marketing. Les responsabilités des industriels dans les questions de santé publique sont largement liées aux multiples aspects socioéconomiques, comportementaux, psychologiques et environnementaux qui sont à l’origine des problèmes de santé publique. Le problème est que 20% de la population n’a pas les moyens d’acheter des produits de bonne qualité car ils sont trop chers. Il s’agit d’une question socio-économique et non d’une question de produit agricole. L’industrie vend ce que les consommateurs peuvent se permettre. Nul doute qu’ils essaient.

Ton. : Ce que nous avons vu pendant la pandémie de Covidl’obésité estl’une des principales complications. Avez-vous une explication à cela? Pensez-vous que les autorités sanitaires font quelque chose pour résoudre le problème ?

JML : Vous devez être prudent avec cela. Comme nous l’avons vu, l’obésité et le diabète sont en effet associés à un risque plus élevé. Mais il y a une contrepartie : on pointe du doigt ces gens. Personne ne choisit d’être obèse. Les responsables de la santé publique, y compris le grand public, ont eu une prise de conscience positive ; alors concentrons-nous sur la prévention, car cela fonctionne. Par contre, je trouve inadmissible que quelqu’un stigmatise les « gros qui bloquent les hôpitaux ».

Ensuite, j’aimerais ajouter une mise en garde : certains schémas alimentaires ont été identifiés dans la littérature comme étant associés à une éventuelle réduction du risque de Covid. La nutrition a un impact sur le microbiote, la défense, l’immunité et l’inflammation. On communique beaucoup sur les gestes barrières, mais sur la vitamine D, les Oméga 3, les probiotiques, les polyphénols… on n’a pas pu communiquer, malheureusement.

Ton. : Chirurgiens Patrick Pessaux et Anne-Sophie Joly, Présidents du Collectif Association Nationaleobese a récemment posté un forum sur Le Monde pour laisserL’obésité est la cause des cinq prochaines annéesaxe stratégiqueUnion européenne. Que pensez-vous de cette initiative ?

JML : Je connais bien Anne-Sophie Joly, nous avons eu un livre et plusieurs conférences ensemble. En faire une cause nationale, pourquoi pas. En faire une grande raison ? Oui bien sûr. Cependant, j’ai une réserve : faut-il toujours avoir peur, dramatique : en France 95% des enfants ne sont pas obèses. 15 % étaient en surpoids ou obèses. Plusieurs facteurs méritent attention. Mais l’obésité n’est pas une maladie nutritionnelle. La nutrition joue un rôle, mais les problèmes sont multiples. Je parle du plaisir de manger dans mon livre… il ne faut pas toujours se laisser embarquer dans ce discours culpabilisant.

Ton. : Les consommateurs disposent-ils de toutes les informations nécessaires pour lutter contre ce fléau ?obésité?Que peut-on faire d’autre pour sensibiliser davantageVue?

JML : En 2019 j’ai publié dans l’édition QUAE d’INRAE ​​ »Excès de poids sur la tête ou dans l’assiette ? J’ai coordonné un ouvrage scientifique géant de 800 pages avec 200 auteurs pour démontrer que l’obésité est une maladie tellement complexe qu’on ne peut en identifier une seule facteur Maladie : Il existe des facteurs génétiques, psychologiques, environnementaux, nutritionnels, liés au mode de vie (stress, sédentarité)… On peut agir sur l’alimentation et l’activité physique… éviter de commencer un régime « toxique », ne pas laisser les gens croire que certains aliments font grossir, c’est un ensemble… Normalement on ne devrait pas grandir mais on commence à voir de nombreux facteurs intervenir : sauter des repas, fractionner des repas, stress, manque de sommeil, écrans, sédentarité. .. …être conscient de cela et aider les gens à trouver un comportement alimentaire serein et naturel. La variété alimentaire est un message qui n’est pas souvent évoqué.

Ton. : Dans une étude récente, vous affirmiez que le Nutri-Score n’était pas vraiment bon pour le fromage. Pouvez-vous développer?

JML : Le Nutri-Score présente des avantages, mais aussi des inconvénients.

Le premier défaut est qu’il ne prend pas en compte les effets de matrice (1). Les nutriments n’ont pas le même effet selon qu’ils sont présents seuls dans un aliment ou un autre. C’est le cas des acides gras saturés. Les acides gras saturés laitiers n’étaient pas associés à une augmentation du risque cardiovasculaire et du risque cardiométabolique, ce qui a été ignoré par le Nutri-Score. Quel dommage.

La référence Nutri-Score de 100g est fausse, je n’ai jamais vu personne manger 100g de Roquefort. Une petite portion est de 20 grammes. C’est un inconvénient.

Le Nutri-Score ne prendra pas en compte les protéines animales – qui ne sont pas considérées comme positives – s’il n’y a pas de quota de fruits et légumes dans l’aliment en question. Du côté positif, les protéines ne sont pas incluses. En conséquence, le calcium n’est pas pris au sérieux.

Les auteurs de l’algorithme disent que c’est lié aux protéines. Ce n’est pas toujours le cas, cela dépend du type de fromage, et comme les protéines ne sont pas valorisées, le Nutri-Score classe malheureusement la plupart des fromages en D ou E. C’est un facteur déprimant et un signe négatif.

Du fait de cette analyse biaisée et unilatérale, le Nutri-Score sous-évalue certains aliments. Surtout les fromages qui sont naturellement gras et salés, ils ont aussi des avantages. À mon avis, le Nutri-Score est dépassé. En plus de ne pas prendre en compte les effets de matrice, et aussi de ne pas prendre en compte le superprocessing (2) donc on voit des industriels…

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