Malbouffe : Lobbying honteux contre les rendements du Nutri-Score
Le Dr Serge Hercberg, professeur de nutrition à l’Université Paris-Nord, travaille depuis des décennies à l’amélioration des connaissances des consommateurs sur la qualité des aliments. Avec son équipe, il soutient le développement du logo Nutri-Score.dans le livre se taire après avoir mangé, publié aux éditions Humensis le 9 février, il raconte comment l’industrie agroalimentaire s’est donné beaucoup de mal pour empêcher l’adoption du logo en France. Désormais, alors que le Nutri-Score est sur le point de devenir universel et obligatoire en Europe, il met en garde contre une nouvelle activité des groupes d’intérêt.
Challenge – En quoi la consultation sur le Nutri-Score organisée par la Commission européenne couvre-t-elle de vrais enjeux de santé publique ?
Serge Hercberg- La Commission européenne prépare une nouvelle réglementation d’ici fin 2022 qui exigera un étiquetage dans les 27 pays de l’UE pour informer sur la qualité nutritionnelle des aliments. En clair, il s’agit de promouvoir le logo Nutri-Score ou équivalent, et surtout de le rendre obligatoire, alors qu’aujourd’hui il est encore facultatif. Il s’agit d’un problème majeur de santé publique qui nécessite une bonne information des consommateurs.
Pourquoi y a-t-il des consultations?
Dans ses préparatifs, la Commission européenne a fait appel à l’expertise de scientifiques, ainsi qu’à l’Autorité européenne de sécurité des aliments, et a utilisé des consultations sur Internet pour garder le pouls de l’opinion publique. L’objectif est de présenter aux citoyens différents systèmes d’étiquetage possibles et de mesurer leur adhésion à l’un ou à l’autre. Le problème, c’est que cette consultation a été détournée par le lobby agroalimentaire pour tenter de sortir le drapeau le moins exigeant.
Que veux-tu dire?
L’imposition d’étiquettes de qualité nutritionnelle sur les aliments se heurte depuis des années à une forte opposition des industriels. Si la France, l’Allemagne, la Belgique, l’Espagne, les Pays-Bas et le Luxembourg ont fini par adopter le Nutri-Score – mais ne l’ont pas encore rendu obligatoire – l’Italie essaie par tous les moyens d’empêcher son adoption à l’échelle mondiale sur toute la gamme. L’Europe . Ou plus subtilement, il défend un autre système appelé NutrInform, qui se limite à lister les ingrédients alimentaires de manière ambiguë et sans aucun symbole, ce qui brouille complètement le message aux consommateurs. L’Italie a déjà convaincu la Grèce et la République tchèque. Ce serait un sérieux revers pour la santé publique européenne si son emblème était conservé.
Le Nutri-Score risque-t-il vraiment de revenir en arrière ?
La perspective d’un étiquetage nutritionnel européen unique a réveillé tous les groupes de pression. Même dans les pays où le Nutri-Score est en vigueur, certains fabricants disent avoir une nouvelle opportunité de s’en tirer en utilisant un système d’étiquetage alternatif. Les entreprises les plus touchées sont les multinationales très puissantes – Coca-Cola, Mars, Mondelēz, Lactalis, Unilever, Ferrero, etc. – qui disposent d’énormes ressources. Une étrange association de « professionnels et citoyens » baptisée « No Nutri-Score Alliance » a récemment fait son apparition et fait de nombreuses vidéos ou messages sur les réseaux sociaux. Elle a en fait été initiée par le patron de la société italienne Must & Partners, agréé comme lobbyiste au Parlement européen… Au contraire, on peut se réjouir que certains groupes, comme Danone, Nestlé et tous les grands distributeurs, et plus de 800 entreprises françaises (Picard, Fleury-Michon, Marie…) et marques (Benenuts, Lay’s, Knorr…) ont pris part au jeu.
Quels sont les arguments avancés par les opposants au Nutri-Score ?
Depuis quelques mois, on assiste à une montée du discrédit du Nutri-Score. Ses détracteurs affirment qu’il privilégie les produits industriels aux produits locaux, comme le fromage ou le jambon. Certains politiciens italiens ont même fait valoir que le logo discrimine les produits « Made in Italy » ou la cuisine méditerranéenne. C’est complètement faux. Nutri-Score est une marque scientifique qui attire l’attention des consommateurs sur la qualité de leur alimentation. Mécaniquement, les aliments très gras, très sucrés ou très salés ont été classés comme faibles, ce qui signifie qu’ils doivent être consommés avec modération. Mais le fromage et le jambon de tous les pays sont traités de la même manière.
Nutri-Score peut-il vraiment donner des scores élevés aux aliments transformés chargés d’additifs ?
Là encore, le Nutri-Score ne renseigne que sur la qualité nutritionnelle des aliments. Pour faire son choix, le consommateur peut le faire en apposant un label sur le mode de production : agriculture biologique, AOP, label rouge, etc. Pour signaler les additifs mélangés et les produits ultra-transformés de multiples processus industriels, ma suggestion serait d’ajouter une bande noire autour du symbole Nutri-Score, mais c’est une autre histoire. Si l’Europe avait réussi à mettre en place des scores nutritionnels pour tous les aliments dans tous les pays, ce serait une énorme victoire pour la santé des Européens. J’ajouterais que si une équipe scientifique trouvait un système d’évaluation des aliments plus efficace que le Nutri-Score, je le soutiendrais immédiatement.
Avez-vous mesuré la mobilisation du lobbying contre le Nutri-Score dans le passé ?
Comme je le révèle dans mon livre*, l’adoption du Nutri-Score en France a été un dur labeur. Au cours de la dernière décennie, les industriels ont mené diverses actions. Souvenez-vous, en 2015, l’Association nationale des industries agro-alimentaires (ANIA) et la Fédération du commerce et de la distribution (FCD) ont envoyé une lettre conjointe aux ministres de l’agriculture et de la santé demandant à mon groupe de recherche à la Sorbonne d’arrêter leurs travaux. En 2018, tous les patrons de chaînes de télévision se sont unis pour demander au Premier ministre Edouard Philippe de ne pas utiliser le Nutri-Score dans les écrans publicitaires. Leur argument est que cela pourrait entraîner une baisse de leurs revenus publicitaires et menacerait le financement des salles de cinéma et leurs 130 000 emplois sur leurs chaînes de télévision… Vous voyez, il y a toutes sortes de relais dans le hall et tout ne va pas fais-le.
Depuis lors, le programme exigeant l’apparition du logo Nutri-Score sur les publicités alimentaires n’a pas encore vu le jour. …
A l’époque, le projet était soutenu par le député LREM Olivier Véran. Lorsqu’il deviendra ministre de la Santé, on pourrait penser qu’il parviendra à la mettre en œuvre. Mais, jusqu’à présent, les groupes de pression ont le dernier mot.
*Tais-toi après avoir mangé.Nutritionniste pour le Produce HallSerge Hercberg, Humensis, 288 p., 20 €.