Agriculteur chercheur Christian Rémésy : L’écologie nutritionnelle sauve nos aliments


Christian Rémésy, ancien directeur de recherche à l’INRA de Clermont-Ferrand, a eu un parcours atypique de chercheur en nutrition humaine, centré sur la valeur nutritionnelle des produits végétaux comme les fruits, les légumes et le pain. Il se définit comme nutritionniste et payan. Il a étendu sa réflexion au concept d’alimentation durable et, plus récemment, d’écologie nutritionnelle. Il travaille depuis longtemps à l’amélioration de la qualité nutritionnelle des légumes, dont le pain. Il a publié deux ouvrages majeurs sur la qualité des aliments et l’environnement :  » Écologie nutritionnelle »Suivie par  » économiser du pain »Elle nous en dit plus sur les futurs besoins de la planète en matière d’écologie nutritionnelle.

Qu’est-ce que l’alimentation ?

Docteur Christian Remesi : Il s’agit d’un concept global précisant toutes les initiatives et politiques à mettre en œuvre pour avoir une chaîne alimentaire plus durable. L’écologie nutritionnelle va plus loin que l’agroécologie, qui se limite aux systèmes agricoles. En effet, l’agroécologie a spécifié un système agricole qui adopte une approche multidisciplinaire. Elle considère l’exploitation dans son ensemble et s’appuie sur les fonctions assurées par l’écosystème existant, pas forcément biologique. L’écologie nutritionnelle, quant à elle, peut étendre les approches nutritionnelles à la santé et à la gestion écologique par l’alimentation. En effet, on peut s’interroger sur le fait que le discours sur la nutrition porte davantage sur l’agroalimentaire que sur l’agriculture, comme si la santé commençait au supermarché !

Est-ce la feuille de route de l’écologie nutritionnelle qui a inspiré vos recherches sur le pain ?

La nécessité de concilier santé humaine et protection de l’environnement est facile à comprendre, tout en étant trop abstraite pour la plupart des consommateurs. La révolution nutritionnelle du pain que je propose nous permet de continuer à faire un vrai travail. Le concept d’écologie nutritionnelle est plein de sens, il donne le cap et la voie à suivre pour la chaîne alimentaire. Elle doit donc conduire à un changement des pratiques de l’industrie du pain de blé.

LIS: Des chercheurs appellent à une révolution du pain nutritif

Comment un pain plus nutritif peut-il servir de paradigme pour l’application pratique de l’écologie nutritionnelle ?

La plupart du pain blanc disponible est sous-optimal sur le plan nutritionnel, résultat d’une culture intensive du blé avec une utilisation excessive d’intrants chimiques et de pesticides. Il faut donc faire d’une pierre deux coups, vers des pains à haute valeur nutritive, et la nature de la diversification.Les graines sont incorporées dans les pains pour s’éloigner des monocultures de blé au profit d’une agroécologie plus bénigne.dans le livre économiser du painj’explique comment le retour de la levure et des graines dans le pain sera une avancée majeure dans l’alimentation humaine, et pourquoi la réutilisation des graines, notamment des légumineuses, en panification sera bénéfique pour la santé humaine et utile à l’agriculture.

L’écologie nutritionnelle consiste donc à initier la révolution nutritionnelle du pain, mais quels autres changements cela nécessite-t-il dans la chaîne alimentaire ?

Tous les domaines de la chaîne alimentaire présentent un intérêt car ils ont tous des implications pour la nutrition humaine et la protection de l’environnement. Par exemple, si l’on analyse la consommation de produits animaux en termes d’écologie nutritionnelle, la feuille de route est très claire. Pour améliorer la santé humaine et réduire l’empreinte carbone de l’agriculture, Les calories animales devraient être réduites de moitié, ce qui équivaut à ne manger que deux portions de ces aliments par jour. Lorsque nous réalisons les bénéfices globaux de cette frugalité, la motivation à changer notre alimentation devient plus forte et influence notre comportement. Par exemple, j’aimerai peut-être beaucoup la viande, mais si je comprenais les difficultés écologiques de manger de la viande en grande quantité, je saurais me limiter plus facilement et arrêter le foie gras. Enfin, trop longtemps, ces recommandations se sont trop focalisées sur des besoins nutritionnels théoriques non satisfaits, ce qui s’est avéré inefficace en matière de nutrition préventive. De plus, nous oublions que nous ne sommes pas seuls sur cette planète, c’est pourquoi nous devons toujours penser et agir avec un logiciel d’écologie nutritionnelle.

En quoi l’écologie nutritionnelle diffère-t-elle des vertus reconnues du régime méditerranéen ?

Les partisans du régime méditerranéen ont un côté naïf voire chauvin, voulant toujours promouvoir l’alimentation propre au littoral méditerranéen, on fait même du vin une boisson incontournable pour la protection cardiovasculaire. De toute évidence, les enquêtes épidémiologiques sur le régime méditerranéen sont très instructives pour comprendre la relation entre alimentation et santé. Mais à une époque de crise écologique et de nutrition préventive mondiale, les modèles alimentaires durables doivent prévaloir. La seule question valable est : que dois-je manger pour rester en bonne santé ? Que faire pour l’équilibre écologique de mon territoire ?

Mais est-ce toujours possible ? Prenez l’huile d’olive par exemple, c’est très bon pour la santé…

L’huile d’olive est populaire car elle bénéficie de l’ambiance du régime méditerranéen. Il est consommé dans le nord et le sud de la France. Le résultat de cette frénésie est le désastre écologique de la monoculture de l’olivier. S’ajuster au niveau régional, c’est trouver des oléagineux locaux qui apportent l’équilibre en acides gras essentiels dont nous avons besoin. C’est tout à fait possible avec divers tournesol (oléique, linoléique), colza, parfois soja ou grâce à des huiles riches en oméga-3 comme le lin pour compléter celles qui manquent. Enfin, il doit être possible de bien manger avec les ressources végétales locales, un des objectifs de l’écologie nutritionnelle, qui a une portée bien plus large que le seul modèle méditerranéen.

Pourquoi une approche d’écologie nutritionnelle est-elle plus efficace que les conseils nutritionnels traditionnels dans la gestion de la santé humaine ?

Pendant trop longtemps, le conseil nutritionnel a été entièrement autocentré, chacun étant invité à choisir certains aliments pour répondre à ses besoins nutritionnels et en micronutriments. Cette approche est souvent chargée de « nutritionnisme » (pour reprendre un terme inventé par Gyorgi Scrinis) et produit rarement un comportement équilibré et durable. L’origine de la nourriture est silencieusement ignorée et le mangeur est invité à faire un choix selon la théorie. Apparemment, l’homme ne trouve pas sa raison dans de telles suggestions, éloignées de la joie humaine et déconnectées des préoccupations écologiques. Soit la personne devient corrective (et rend les autres malheureux), soit elle lâche prise et adopte des comportements alimentaires incohérents.

Alors que faire?

Vous devez lier vos choix alimentaires à la nécessité de soutenir l’agriculture locale, de privilégier les produits bio et naturels et de limiter les produits transformés industriellement. Dans cette optique, les consommateurs peuvent plus facilement avoir une alimentation variée et équilibrée et acheter de meilleurs légumes sur leurs marchés locaux. Il est encouragé à varier ses recettes de cuisine selon les saisons. Au final, il s’en portera mieux et sera convaincu que son alimentation est le sommet d’une chaîne alimentaire écologique et sociale plus bénigne. Heureusement, comme M. Jourdain de Prose, beaucoup de gens font de la recherche en écologie nutritionnelle sans le savoir.

Comment l’écologie nutritionnelle peut-elle servir de guide à l’agriculture et à l’ensemble de la chaîne alimentaire ?

Nous sommes confrontés à la double nécessité de nous nourrir au maximum des ressources alimentaires disponibles au niveau régional, tout en adaptant l’offre alimentaire aux besoins nutritionnels spécifiques de l’homme. Cette expression est rarement accomplie par les seules lois de l’offre et de la demande. Si la restauration collective ne commande pas les ingrédients nécessaires à la bonne cuisine de l’agriculture régionale, elle s’industrialise et la qualité baisse.
Je ne pense pas que le fonctionnement de la chaîne alimentaire ait jamais bénéficié d’une approche cohérente à l’échelle mondiale de la santé humaine, du soutien de l’agriculture biologique, il n’y a jamais eu de mandat clair et loyal pour l’agriculture, ni de réglementation suffisante pour forcer l’industrie alimentaire ne faire que de la bonne transformation, malgré les preuves pointant vers les dangers des aliments ultra-transformés. Il est clair que l’écologie nutritionnelle n’est pas encore entrée dans le courant dominant, qu’elle est ignorée dans la prise de décision politique, marginalisée dans la politique agricole commune, absente des conseils de santé publique, et seulement mise en œuvre sans accompagnement spécifique de citoyens responsables.Je suis surpris et dégoûté de publier Écologie nutritionnelle, arguant que nous avons besoin de ce néologisme important qui peut entrer dans le lexique actuel comme l’agroécologie. Je n’ai pas entendu suffisamment de voix pour dire que le concept est peut-être trop agressif pour pénétrer efficacement une chaîne alimentaire sociale et écologique trop imparfaite. D’autre part, je vous invite à devenir un pionnier de ce seul futur possible de l’alimentation en vous y immergeant en lisant mon livre. Vous voyez, l’écologie nutritionnelle est actuellement notre seul espoir de relance, de remise sur les rails de chaînes alimentaires incontrôlées, mais la situation est urgente, la planète brûle, la malnutrition se propage, et nous regardons ailleurs.

Pour aller plus loin, lisez l’extrait ci-dessous Écologie nutritionnelle et économiser du pain

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